#13 Journal de lecture
Mon quotidien de lectrice : lectures, notes, réflexions et passages en librairies (mai 2025)
Chers lecteurs,
Je vous retrouve aujourd’hui avec la 13ème édition de mon journal de lecture.
J’en avais fait mention dans un post précédent, mais j’ai décidé de revoir la façon dont je partage mon journal de lecture. Depuis plus de six mois, j’en propose des versions mensuelles, parfois en deux parties, selon leur longueur et du temps que j’ai à ma disposition pour les éditer (un journal mensuel peut me prendre jusqu’à plus de 10 heures de travail “profond”).
Aujourd’hui, je souhaite vous proposer des épisodes plus courts (tout est relatif), mais de façon plus régulière. Cela afin que ce soit plus digeste pour vous, et moins long à éditer pour moi, mais aussi pour m’encourager à me plonger plus régulièrement dans le processus d’édition. C’est une habitude que je commence tout doucement à intégrer dans mon quotidien, mais il y a encore une belle marge de progression avant d’atteindre l’objectif de fluidité tant convoité.
Autre changement, j’ai choisi d’intégrer les liens vers les livres mentionnés directement dans le texte, dites-moi en commentaire si vous préférez une liste en fin de post comme précédemment.
1er mai - Café du matin
Je suis à la mer depuis hier. Il fait un temps magnifique et j’ai pu m’installer sur la terrasse pour lire dès le matin. Le joli mois de mai sait comment faire une entrée.
J’ai commencé Francoeur - A nous la vie d’artistes ! de Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail. C’est le premier roman d’une duologie qui raconte, au travers de lettres, l’histoire d’une fratrie d’artistes bohèmes dans le Paris du 19e.
Dans ce premier volume, nous découvrons uniquement les lettres envoyées par l’une des deux correspondantes, celles d’Anna Dupin . Anna est l’aînée de la famille. Elle a deux frères jumeaux, Isidore et Marceau. Anna, dont le personnage est inspiré de George Sand souhaite devenir écrivain. Isidore quant à lui se rêve en peintre animalier. Son personnage rend hommage à Rosa Bonheur, une grande peintre animalière dont je ne connaissais pas du tout l’existence jusqu’à la lecture de ce roman. Marceau est poète, et c’est à Rainer Maria-Rilke que les autrices ont pensé pour construire son personnage.


Le roman commence alors qu’Anna reçoit une lettre d’une de ses admiratrices. Se prenant d’affection pour elle et sa situation (elle veut devenir écrivain), elles commencent à correspondre et Anna lui raconte son histoire et celle de sa famille.
Dans les premières lettres, nous découvrons l’enfance de la fratrie Dupin dans le Berry et les joies que tous y ont connues. Anna en parle avec l’immense nostalgie propre aux enfances heureuses.
Isidore devint le meilleur chapardeur de notre bande. Il pouvait faire tenir cinq ou six livres de prunes dans son habit. Quant à Marceau, une fois sur deux, il déchirait sa culotte dans les branchages, et on m'envoyait chercher la grande Fanchon pour qu'elle reprisât ses vêtements en cachette de nos parents. Des parents qui nous laissaient souvent battre la campagne comme des poulains échappés et nous posaient le moins de questions possible. S'il leur arrivait d'en poser malgré tout, j'avais toujours une explication en poche.
Quand nous ne dévastions pas les vergers avec Pierrot, nous gardions les troupeaux de sa grand-mère avec tout le sérieux dont nous étions capables, c'est-à-dire aucun. Nous ne nous gênions pas pour traire les chèvres et les brebis, puis, tout en buvant le lait encore chaud, nous faisions cuire sous la cendre des pommes de terre ou des petits oiseaux. Sylvain, de son côté, nous enseigna les secrets de la cueillette. Il savait dans quelle haie trouver les saxifrages, dans quel sous-bois se cachaient les girolles, dans quel buisson prospéraient les mûres.
C'est ainsi que, sans aucune notion de la propriété privée, nous courions de champ en champ et nous régalions de festins clandestins. La campagne tout entière nous appartenait.” (pp. 36-37)
Ce passage témoigne d’une telle liberté ! Il fait d’ailleurs écho à un chapitre de l’essai On vous vole votre attention de Johann Hari, celui qui traite du confinement physique et psychologique de nos enfants (voir entrée de journal du 25 avril dernier). J’aime lorsque des liens se créent entre deux lectures qui n’ont a priori rien à voir l’une avec l’autre.
1er mai - Notes de fin d’après-midi
Je suis allée m’installer à la jolie terrasse du Musée Paul Delvaux, un havre de paix bien caché dans les petites rues de la côte. Même si c’était assez animé aujourd’hui (tous les belges semblent avoir migré vers la mer en quête de fraîcheur), j’ai réussi à lire quelques pages du recueil d’essais sur les jardins publié par Daunt Books commencé le mois dernier. J’ai entamé la deuxième partie “The Collective Garden” avec l’essai de Francesca Wade “A common inheritance” qui a pour sujet les célèbres squares que l’on peut trouver un peu partout dans Londres. L’autrice y retrace leur origine et leur évolution au fil des décennies.
“(...) No walk around London is complete without gazing through bars of gaps in hedges at ancient trees and elegant fountains, imagining the stories hidden within.” (p.33)
Ces petits jardins londoniens sont nés en 1631 lorsqu’a débuté la construction du quartier de Covent Garden sur des pâturages qui n’étaient jusqu’ici occupés que par des moutons. C’est à ce moment-là que la ville a commencé à s’étendre et que de nombreux squares sont apparus, des morceaux de nature au milieu de nouveaux quartiers résidentiels, destinés notamment à préserver certains arbres anciens de la campagne aujourd’hui engloutie par la ville. Au milieu du 18e, ces squares sont devenus des symboles de l’architecture londonienne. Au fil des années et des travaux de rénovation, certains d’entre eux ont été réduits, ou ont disparu comme par exemple celui de Leicester Square. Ce qui est devenu aujourd’hui un haut lieu touristique pavé de rues bondées, était lors de sa construction en 1670 un quartier résidentiel construit sur les bords de champs au sein desquels avaient été plantés fleurs et ormes. C’est assez difficile à imaginer aujourd’hui.
“Creating the ideal of rus in urbe - a small sliver of wilderness inside the city walls - was a process of taming, cultivating, refining : transforming open pastureland into a garden enclave that might become a haven of wild birds and exotic plants, nestled within the busting city.” (p.34)
Cela me fait voir les squares et parcs londoniens d’une toute autre façon. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question jusque-là de savoir comment ceux-ci avaient été conçus. C’est assez fascinant de se dire qu’ils sont en réalité (peut-être pas tous), des vestiges de l’ancienne campagne anglaise environnante. Comme si la ville avait souhaité garder un souvenir de ce sur quoi elle s’est construite.
En filigranes, se pose la question du caractère privé de certains de ces jardins partagés par quelques privilégiés. Francesca Wade évoque le travail de préservation à cet égard d’Octavia Hill (1838-1912) qui défendait, tout comme Orwell l’a fait plus tard, l’idée de garder les espaces verts de la ville ouverts à tous. C’est dans le cadre de ce combat qu’elle a d’ailleurs co-fondé le célèbre National trust anglais, une fondation oeuvrant pour la préservation et l’accessibilité à tous de nombreux sites historiques et naturels au Royaume-Uni. Je serais très curieuse d’en lire davantage à son propos. Elle semblait être une grande dame.
“Her mission was “to protect all open spaces, no matter how small, secure them, cultivate them, and most importantly allow them to be open “for everyone” : to her, London’s garden squares were a “common inheritance”, which should be shared between neighbours and provide every person, regardless of wealth or background, with “a place to sit in, places to play in, places to stroll in, and places to spend a day in”.
L’essai renouvelle l’importance de ces lieux qui semblent incarner aujourd’hui l’un des symboles de la lutte contre l’engloutissement capitaliste de la ville.
“London’s city gardens are places of sanctuary: to gather for picnics or protests or to be alone, and they belong to us collectively.” (p.41)
Cet lecture m’inspire une redécouverte de Londres au fil de ses squares, à commencer bien évidemment par le quartier de Bloomsbury, l’un de ceux que je préfère, et connu pour en abriter de nombreux. Francesca Wade est d’ailleurs l’autrice de Square Haunting qui parle de plusieurs femmes de lettres ayant vécu autour du même square dans Bloomsbury dans l’entre-deux guerres. C’est un essai que j’ai sur mes étagères depuis un moment, il est peut-être temps de l’en sortir. Cela me donne aussi envie de m’organiser un séjour solo à Londres au printemps prochain. Un projet à mûrir.
4 mai - Café du matin
Ces derniers jours, j’ai continué ma lecture de Francoeur dont je savoure chaque page.
Au début du roman, les Dupin vivent dans la campagne berrichonne et bénéficient d’un certain confort de vie grâce à l’aide de leur grand-père maternel. Dans une énième tentative de trouver le succès, leur père, peintre raté, déménage à Paris avant d’y faire venir sa famille. Le studio dans lequel ils sont installés est miteux et bientôt, l’argent manque. Comprenant rapidement qu’ils ne pourront pas compter sur leur père, les enfants s’organisent et se débrouillent afin de trouver un moyen de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur mère dont la santé décline, alors qu’elle est enceinte de son quatrième enfant.
Le roman en tant qu’objet livre est très réussi. Un grand soin a été apporté à la couverture à rabat dont l’intérieur est entièrement illustré.
7 mai - pause midi
Quelques passages retenus de Francoeur, et dont la teneur est toujours bonne à être rappelée :
“Ecrivez et ne demandez pas aux autres de vous approuver.” (p.106)
“Je l’ai dit à plusieurs reprises et je vous le redis : le manque d’instruction des femmes est le grand crime des hommes envers elles.” (P. 148)
“Tout au long du chemin, sans robe pour entraver ma marche, j’avais fait sonner sur le pavé les petits talons ferrés de ces bottes que j’aurais voulu ne plus quitter. Croyez-moi, ce sont les hommes qui ont inventé les vêtements des femmes pour que nous nous sentions faibles, fragiles et sottement empêtrées.” (p.158)
“Est-ce pour cela qu’un jour Marceau me questionna sur le suffrage universel?
-Donnerais-tu le droit de vote aux femmes? me demanda-t-il, comme si cela était réellement en mon pouvoir.
Je lui répondis que l’urgence était d’instruire le peuple et les femmes, qu’autrement le peuple voterait contre ses intérêts et comme lui diraient les patrons et les propriétaires, et que les femmes voteraient contre leur liberté et comme leur diraient leur père et leur mari.” (p.246)
9 mai - Café du matin
Je termine la partie consacrée au mois d’avril de Spring, les mémoires printanières de Michael Morpurgo. A la fin de cette partie, en parlant des rivières, il porte un message emprunt d’espoir quant à l’avenir :
“The presence of both kingfisher and otter gives me some hope for the river. We need more than hope, of course. (…)
Our wildlife needs clean water. We need clean water. Fish need clean water too. There just aren’t the number of cormorants or egrets or kingfishers or herons on our river or any river as there used to be, because there isn’t the number of fish that there used to be. This can and must be put right, for their sakes, for all our sakes.
Many good and right-thinking people, locally and nationally and globally, are trying to repair the damage. So we mustn’t despair. Being downhearted about it doesn’t help. This new generation of young people is much more aware. We are all much more aware. I am more aware. We may have been slow to understand the damage we have done. We understand now. We have to undo the damage we have done, for the kingfisher, for the otter, for the fish, for the heron, for the frogs, for the bees, for us all, and for our children.
Otters and kingfishers and herons, all of them, are still here. They haven’t given up on us, as they had every right to do. So we mustn’t give up on them.” (pp.75-76).
L’auteur poursuit en racontant sa première rencontre avec une loutre. Anecdote très touchante, comme beaucoup de passages dans ce livre d’ailleurs. C’est une lecture qui nous invite à porter un regard empathique envers la nature, et à s’amuser des situations cocasses dont elle nous fait cadeau, comme autant de petits spectacles.
Quelques pages plut tôt, j’ai été aussi amusée qu’émue par l’un des poèmes de l’auteur qui parle d’un pommier et d’un grand-père. Il m’a beaucoup rappelé mien. L’une de mes photos les plus précieuses est d’ailleurs une photo de lui et moi petite en train de planter un arbre.
En voici un extrait. Chaque strophe se termine par le même vers.
“He leans these days, my dear old tree.
Much like me, much like me.
But look at him now, still standing there.
Not straight, but strong, through wind and storm.
Home to all his birds and bugs,
Home to you and home to me.
What songs he sings! How he rustles and roars !
I dug that earth. I planted that tree.
You told me, Grandpa. You told me.”
(Extrait de Whacks of apples, Michael Morpurgo, Spring pp.71-73)
10 mai - Quelques achats en ligne
Je viens de passer une commande en ligne sur Blackwell’s. C’est souvent là que je commande mes livres en anglais.
Dans ma commande, se trouvaient les titres suivants :
China Court de Rumer Godden, pour compléter ma future pile à lire autour des Cornouailles.
Ensuite, trois titres notés après avoir vu la vidéo de Miranda Mills sur ses livres préférés autour des jardins. De quoi continuer à découvrir de nouvelles propositions sur le sujet, et de peut-être proposer une deuxième partie à l’article que j’ai moi-même écrit sur ce thème au début du printemps.
Tom’s midnight garden/Tom et le jardin de minuit de Philippa Pearce. Ce roman fait également partie des recommandations d’Emjy depuis de nombreuses années.
Old herbaceous de Reginald Arkell
The Gardener’s bed-book de Richardson Wright : des histoires courtes pour accompagner les jardiniers le soir avant de dormir.
J’ai très hâte de les recevoir !
11 mai - Après-midi au calme
Nous sommes dimanche, et depuis quelques semaines, j’essaie de me réserver un moment calme pour lire un magazine entièrement. Aujourd’hui, j’ai dévoré le numéro d’avril de Period Living.
Une merveilleuse édition avec un article sur Chawton, la dernière résidence de Jane Austen. L’article évoquait le lieu par le prisme des habitudes domestiques de l’autrice et de sa famille. J’y ai également lu un petit article sur la poterie typique des Cornouailles. De quoi étoffer ma liste de choses à voir (et à ramener!) pour mes futures vacances. Plusieurs autres pages m’ont également beaucoup inspirée pour mes futures collections.
12 mai - Soir
Ce matin, j’ai terminé Francoeur, à nous la vie d’artiste ! J’ai vraiment adoré cette lecture et je me délecte d’avance à l’idée de savoir que le tome 2 arrive très bientôt en librairie (dans une dizaine de jours).
Le Paris du 19e m’a fascinée sous la plume des Murail. Les Dupin mènent une vie de bohème, et essaient tant bien que mal de vivre de leur art, la peinture animalière pour Isidore et l’écriture pour Anna et Marceau. Leur situation est précaire, et il faut attendre qu’Isidore gagne peu à peu en reconnaissance pour que la fratrie puisse aspirer à une forme de stabilité. Stabilité toute relative cependant car la France, et plus spécifiquement Paris, connaissent à cette époque d’importants bouleversements. Le roman raconte notamment les révolutions de 1848 destituant Louis Philippe et marquant la fin de la royauté en France. Les révolutions de juillet constituent un passage important dans le roman et plusieurs personnages principaux y prennent part. C’est une partie de l’histoire que j’ai étudiée à l’école il y a bien longtemps maintenant et dont je ne me rappelais plus du tout les détails. La reconstitution historique à laquelle les autrices se sont prêtées dans leur roman donne à l’intrigue une dimension très immersive. Paris y apparaît comme un microcosme duquel il est compliqué de s’extraire, malgré une superficie bien plus réduite que celle du Paris actuel. Cela est particulièrement vrai pour les parisiens sans le sou, cantonnés aux confins de leur quartier. Situation qui est sans doute transposable aujourd’hui, et cela malgré les moyens de transports modernes. Cet enfermement citadin entretient la nostalgie que les Dupin ressentent pour leur enfance passée dans la campagne du Berry. Une enfance empreinte de liberté et remplies d’aventures qui ont forgé leurs imaginaires respectifs. Des lieux qui ne leur seront accessibles à nouveau que par le biais du succès d’Anna, ce dont nous avons connaissance dès le début du roman, puisque c’est depuis sa chère campagne qu’Anna écrit ses lettres.
Au fil des lettres, les autrices nous dressent un portrait minutieux du monde intellectuel et artistique, des dynamiques qui l’animent, et notamment son ambivalence à l’égard de l’engagement politique. J’ai particulièrement aimé découvrir cet “écosystème” de la bohème, la manière dont les différentes disciplines qui l’animent interagissent et s’influencent, et dont les frontières symboliques semblaient beaucoup plus perméables que celles d’aujourd’hui. Plus loin dans le roman, nous rencontrons une autre personnage, celui d’Olympia, la cadette de la famille qui elle, s’illustrera dans le monde du théâtre. Celle-ci est inspirée de l’illustre Sarah Bernhardt.
Je termine avec ce passage qui rend directement hommage à George Sand :
“Au dernier paragraphe, elle marchait dans la campagne au petit matin, se dirigeant vers la mare aux fées de son enfance. Elle renonçait à la Sainte-Trinité de monsieur Delpech, amour-mariage-bonheur, pour se consa-cret tout entière à l'écriture. Elle marchait dans le soleil levant et, me souvenant de notre bel été de vagabondages, j'écrivis ces dernières phrases: «Qu'y a-t-il de plus beau qu'un chemin? Le ciel ne finit pas devant lui, et tant que la vue peut s'étendre, le chemin est une terre de liberté.»” (p. 349)
Une lecture foisonnante, intrinsèquement féministe, dont j’ai aimé chaque page. Vivement la suite !
Ajoutés à ma wishlist :
Francoeur - A nous la vie de château ! (Tome 2) - Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail
Country commonplace book - Miranda Mills
The house in Cornwall - Noel Streatfeild
Merci pour votre lecture!
J’espère que cette édition de mon journal de lecture vous a plu!
N’hésitez pas à me laisser un petit ❤️ ou un 💭, c’est toujours un bonheur de vous lire en retour 🙏🏻
Country Commonplace book est aussi ds ma wish list 😁
Bien tentée par Francoeur, en tant que fan de George Sand notamment 😍