Un jardin dans ma bibliothèque
Littérature et jardins : quelques recommandations et mes envies de lecture
La nature semble avoir décidé de compenser la noirceur du monde en nous donnant un bien joli printemps cette année. Lorsque je suis rentrée de quelques jours passés à Amsterdam, j’ai pu en constater les bienfaits dans mon jardin. C’est indéniablement l’un des plus beaux printemps que j’ai vécu ici, et cela se ressent directement dans l’évolution quotidienne des plantations. Cela me rend tellement heureuse que j’ai commencé à tenir un journal de mes observations quotidiennes depuis la fin du mois de mars. Mon jardin n’a rien d’extraordinaire, et pourtant, il l’est à mes yeux pour tout ce qu’il m’apporte au quotidien. Le regarder depuis la baie vitrée de la cuisine m’apaise instantanément, et lorsque j’y mets un pied les jours de beaux temps, j’ai du mal à rentrer. Je rêve de pouvoir un jour lire et écrire tout en l’observant depuis la fenêtre, accompagné du bal incessant des oiseaux qui lui rendent visite.
Lorsque le temps le permet, j’aime en faire le tour chaque jour. Il y a un côté très rassurant de voir la nature continuer de grandir sans se soucier de la bêtise humaine. Tout comme je le ressens lorsque je suis face à la mer, son observation m’offre une remise en perspective des choses de la vie et m’invite à lâcher prise. Je suis de celles qui pensent que les jardins ont beaucoup à nous apprendre au quotidien, et pour qui la célèbre citation de Cicéron, “Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut”, est devenue au fil des ans une vérité bien plus qu’une inspiration. Propices aux instants méditatifs, nos jardins sont des sources intarissables d’apaisement, et nous apprennent chaque jour à gagner en humilité tout en nous berçant de fierté à la vue d’une nouvelle fleur, comme si la main humaine, celle qui ne force pas celle de la nature, avait réellement quelque chose à voir avec la volonté d’une plante de fleurir ou non. Mais tout le monde n’a pas la chance de posséder un jardin, et c’est là qu’une nouvelle fois la littérature peut nous venir en aide. C’est le thème de la newsletter d’aujourd’hui.

Des jardins et des livres
Depuis l’année dernière, j’ai aménagé une petite étagère de ma bibliothèque destinée à accueillir tous les livres parlant de jardins. Au fil des ans, j’ai acquis une jolie petite collection dont je suis plutôt fière, même si un certain nombre de titres restent à ce jour encore non lus. Pour être honnête, ce genre livres n’est pas de ceux que l’on trouve en abondance, je m’emploie donc à une certaine économie de lecture. Ce qui est un peu bête, puisque ce sont souvent des livres qui profitent justement d’une relecture. Mais rien ne nous renvoie plus à notre humanité que notre peur de manquer, n’est-ce pas ?


L’arrivée des beaux jours et du soleil dès le début du mois de mars m’ont invité à explorer à nouveau ma petite étagère, mais c’est la splendeur des premières floraisons d’avril, et le début de l’écriture de mon journal, qui m’ont donné envie de sélectionner quelques titres pour guider mes choix de lectures au cours des prochains mois. Avant de vous livrer ma liste de lectures, j’aimerais vous parler un peu des livres sur le sujet que j’ai lus et que je vous recommande.
Pour commencer, deux livres d’une autrice que j’affectionne particulièrement, Elizabeth et son jardin allemand, et sa suite, L’été solitaire, d’Elizabeth Von Arnim. J’en garde un merveilleux souvenir de lecture. Tous deux revêtent la forme d’un journal au sein duquel Elizabeth, l’héroïne dont la vie est largement inspirée de celle de l’autrice, raconte son quotidien de mère et d’épouse, retirée dans une propriété située quelque part dans la campagne allemande. Son jardin est son refuge, elle s’y rend pour échapper quelques instants aux obligations qui rythment sa vie et qui lui pèsent au quotidien. Même si j’ai aimé les deux, je me souviens avoir eu une nette préférence pour le premier. La plume d’Elizabeth Von Arnim se distingue par son humour qu’elle présente sous la forme d’une ironie souvent piquante. Le tout est cependant contrebalancé par des descriptions qui m’ont laissée rêveuse. Elizabeth et son jardin allemand et L’été solitaire sont tous deux des romans très courts qui accompagneront parfaitement une après-midi passée au jardin, ou sur le banc d’un parc.
Continuons avec un autre récit court, et sans doute l’un de mes préférés, L’année du jardinier de Karel Capek que je ne manque pas de recommander autour de moi. Dans ce petit texte rehaussé de nombreuses illustrations réalisées par son frère, l’auteur nous propose d’observer durant une année les victoires et déconvenues d’un jardinier. Le récit prend la forme d’un almanach alternant les mois de l’année avec de courts chapitres davantage réflexifs alliant poésie et humour, et témoignant du sens de l’observation bienveillant mais rieur de l’auteur. Le point de vue qu’il adopte pour parler de son sujet donne au tout une petite dimension théâtrale qui en fait un petit bijou unique. C’est un livre qu’il fait bon offrir, et si vous avez des proches qui aiment jardiner, L’année du jardinier fera un cadeau idéal pour leur témoigner votre affection.
Dans Deux femmes et un jardin d’Anne Guglielmetti, nous suivons le développement d’une amitié atypique entre Mariette et Louise. Mariette a passé sa vie à faire des ménages à Paris jusqu’à ce qu’elle hérite d’une vieille maison perdue quelque part en Normandie. Peu importe le manque de confort, Mariette découvre pour la première fois ce que c’est d’avoir un endroit rien qu’à elle, et le plaisir immense d’avoir un jardin. Louise est une adolescente en vacances dans la région. L’ennui et la volonté de s’échapper de sa famille la mènent tout droit chez Mariette. Le jardin se pose ici comme le parfait entremetteur pour faire se rencontrer deux solitudes autour de l’émerveillement qu’il leur inspirera. Un roman élégant, tout en retenue, qui offre une délicate ode au jardin et à l’amitié.
Les lendemains de Mélissa Da Costa commence par une tragédie et poursuit avec la reconstruction et la renaissance de son héroïne. Il répond par là aux codes des romans “feel-good”, un genre avec lequel j’ai parfois un peu de mal. Mais ce qui m’a attirée vers ce titre, c’est le rôle crucial du jardin dans le processus de reconstruction du personnage principal. Amande a tout perdu. Submergée par le chagrin, elle cherche à s’isoler pour pouvoir vivre son deuil comme elle l’entend, loin des codes sociaux dont elle n’a pas la force de supporter le poids. Elle trouve refuge dans une petite maison en Auvergne, loin de tout, où elle pourra laisser libre court à son besoin de léthargie. Un jour, alors qu’elle trouve la force de ranger un peu, elle découvre un vieil almanach dans les affaires laissées par la dernière occupante de la maison. En feuilletant rapidement le livre, j’ai réussi à retrouver un passage :
“J’entame le mois d’avril, un mois représenté par un bouquet de roses jaunes disposé sur une table de jardin en bois brut. Certaines cases ont été annotées. 2 avril : Repiquer les plants de laitue. 6 avril : Diviser les pieds de ciboulette. 10 avril : Maraîcher. 13 avril : Semer le persil. 18 avril: Tartine de confiture de fraises? 20 avril : Planter les dahlias. 22 avril : Installer le salon le jardin sous l’arbre de Paul. 30 avril : Rempoter les lauriers-roses.” (p.41)
Cet petit calendrier va progressivement ramener Amande à la vie. Au fur et à mesure qu’elle s’occupe du jardin, elle réapprend à vivre avec le deuil qui fait désormais partie d’elle. Peu à peu, elle retrouve la force de s’ouvrir aux autres. C’est aussi un récit qui interroge la manière dont nous appréhendons le deuil dans nos sociétés. La décision d’Amande de tout quitter interroge et inquiète son entourage, mais l’autrice l’empêche de la juger ou d’intervenir. Je me demande si les choses se dérouleraient avec autant de bienveillance ailleurs que dans un roman. J’ai aimé que l’autrice permette à son héroïne de vivre son deuil comme elle l’entend, en répondant à son besoin de solitude. Cette réflexion mise à part, ce qui reste central dans le roman, c’est le pouvoir salvateur de la nature, modèle de résilience. L’almanach offre à Amande les repères dont elle a besoin pour se reconstruire, l’invitant à se reconnecter à la vie, et quoi de mieux pour cela que de donner naissance à un jardin.
Il n’est pas question du deuil dans La péninsule aux 24 saisons d’Inaba Mayumi, mais nous y retrouvons le même besoin d’isolement éprouvé par une femme qui décide de quitter Tokyo pour un petit hameau situé dans une forêt bordant une péninsule. Là-bas, elle n’a d’autre choix que celui de vivre simplement. Peu à peu, elle se reconnecte à elle-même tout en observant le spectacle fascinant des 24 saisons que lui offre la nature environnante. C’est un récit qui mêle habilement la poésie aux réalités d’une vie reculée. Pour écrire cet article, j’ai ressorti le livre de mes étagères et je parcours à nouveau les passages des pages que j’ai cornées. Ils me donnent tous envie de m’y replonger, c’est le signe d’un bon livre, n’est-ce pas?
“Comparé au calendrier qui divise les douze mois en trente ou trente et un jours, celui qui répartit les périodes de l’année en vingt-quatre saisons donnait du relief à la monotone répétition quotidienne et me causait une légère excitation. Ces saisons qui arrivaient tous les quinze jours étaient comme des gares où on montait et descendait. Telle petite gare montrait soudain son visage quand on sentait le changement de l’air.
C’est monsieur Tachibana, l’artisan spécialiste de la coloration naturelle, qui m’a fait connaître l’existence de ce calendrier à l’ancienne. “Avec ce système, on sait tout de suite quand telle ou telle plante fait son apparition. Si je jette un oeil à la date de l’équinoxe de printemps, je peux voir mentionnés la chicorée et le cerfeuil ou encore les prêles. C’est bientôt le moment, me dis-je, et je vais dans les champs, ce qui me permet de préparer les teintures de printemps. Quand cette période est passée, c’est la saison des cerisiers (…)” (pp.61-62).
Avec L’été de la sorcière de Nashiki Kaho, nous restons dans une forêt japonaise où nous accompagnons Mai, une jeune adolescente aux prises de l’angoisse, envoyée vivre chez sa grand-mère dans l’espoir que la sagesse de celle-ci et la vie au milieu des arbres lui permetteront d’aller mieux. Nous goûtons une nouvelle fois dans ce roman au pouvoir thérapeutique de la nature qui trouve en plus ici la capacité de s’exprimer au travers des connaissances de cette grand-mère un peu sorcière qui apprendra à sa petite-fille à mieux accueillir ses émotions en se mettant en mouvement, à mieux s’écouter et se faire confiance. L’histoire trouve son inspiration dans les souvenirs d’enfance de l’autrice et rend compte de la manière dont certaines parenthèses vécues dans notre enfance continue de forger et de nous nourrir en tant qu’adultes. Nul doute qu’un été passé en compagnie d'une “grand-mère feuillage” ait suffi à lui seul à nourrir ce merveilleux roman.
“Ecoute-moi bien. Voici une des leçons les plus importantes de ton apprentissage. Une sorcière doit accorder de l’importance à son intuition. Cependant, elle ne doit en aucun cas lui laisser prendre le dessus. Sinon, celle-ci risque de devenir une illusion puissante, une chimère, qui finira par prendre le contrôle et la dominer. Enferme cette intuition quelque part dans ton esprit. Viendra le moment où tu découvriras si cette intuition était vraie. ce sera l’expérience qui t’apprendra à reconnaître si ce que tu ressens est une véritable intuition ou non.” (p.91)
Pour une écriture adoptant une approche plus scientifique, je vous recommande la lecture d’ Une année à la campagne de Sue Hubbell. Dans ce récit autobiographique, l’autrice retrace son parcours de femme, d’abord en couple, puis seule, partie vivre dans la région des montagnes Ozark où elle devient apicultrice. Au fil des chapitres, elle nous partage ses observations et ses réflexions sur le monde sauvage, la place de l’homme et l’importance d’une cohabitation équilibrée. Elle y témoigne son amour pour la nature pourtant souvent mis à rude épreuve. Et c’est en cela que ce titre se distingue des précédents. Nous ne sommes pas ici dans une fiction, et encore moins au milieu d’un joli jardin anglais, mais bien dans un endroit peu hospitalier pour l’homme auquel beaucoup ont déjà renoncé. Sue Hubbell n’enjolive pas les épreuves qu’elle doit affronter et ne cache pas l’hostilité du milieu qu’elle habite. Mais pour elle, il ne semble pas y avoir d’autre vie possible.
Sue Hubbell est biologiste de formation, et cela se ressent dans sa manière d’écrire et le regard qu’elle porte sur la nature qui l’entoure. Je le recommande à tous ceux qui sont passionnés des insectes et qui s’intéressent à leur rôle fondamental au sein de nos écosystèmes. C’est un récit que j’ai trouvé très instructif et que j’ai pris plaisir à lire petite touche par petite touche.
Pour terminer, une bande-dessinée, L’oasis - Petite genèse d’un jardin biodivers de Simon Hureau que j’ai également lue l’année dernière et qui m’a complètement fascinée. Là encore, il s’agit d’un récit autobiographique dans lequel l’auteur raconte comment il a transformé un banal jardin sans vie en une véritable ménagerie sauvage où cohabitent joyeusement plantes, insectes, oiseaux, batraciens. C’est un récit empreint de beaucoup d’humour et d’humilité où nous apprenons mille et une choses sur le potentiel salvateur d’un jardin, aussi petit soit-il, pour la faune et flore ambiantes, mais aussi pour notre bien-être à nous, pauvres humains. C’est une bande-dessinée à laquelle je repense souvent et qui a incontestablement participé à augmenter ma capacité à m’émerveiller devant la nature qui m’entoure.
Quelques titres supplémentaires
Sur le même thème mais traité de façon plus légère (faites l’impasse sur les titres français…) : Amours et autres enchantements (Garden Spells) de Sarah Addison Allen qui est une romance, Les coeurs brisés ont la main verte (The garden of small beginnings) d’Abi Waxman qui est plutôt un roman feel-good, et La petite boutique des sortilèges (The spellshop) de Sarah Beth Durst, un titre de “cosy fantasy” qui m’a beaucoup plu. Dans une dimension plus romanesque, Le jardin des secrets (The forgotten garden) de Kate Morton dont j’aime beaucoup les histoires alliant passé et présent. Dans ce roman, c’est un jardin qui fait le lien entre les époques. Je termine avec l’une de mes dernières lectures, Le jardin sur la mer de Mercè Rodoreda dont je parle plus longuement dans mon journal de lecture de mars et qui place le jardin comme lieu d’observation de la vie des maîtres des lieux à travers le regard du jardinier.
Les titres que j’aimerais lire cette année
Pour cette partie, je vais me contenter d’une simple liste. Je ne les lirai très probablement pas tous cette année, mais si c’est le cas, mes avis seront à retrouver dans mes prochains journaux de lecture.
En français, tout d’abord :
Ce que je n’ai pas encore dit à mon jardin de Pia Pera
Mon jardin sauvage de Meir Shalev
Kew Gardens de Virginia Woolf
Lettres sur la botanique de Jean-Jacques Rousseau
La petite dame en son jardin de Bruges de Charles Bertin
Les fleurs sauvages d’Holly Ringland
La géante de Laurence Vilaine
La montagne vivante de Nan Shepherd
Eden d’Audur Ava Olafsdottir
Le jardin de Rose d’Hervé Duphot (BD)
Carnet d’un jardinier amoureux du vivant de Fred Bernard (Album/BD)
En anglais :
The secret garden (Le jardin secret) de Frances Hodgson Burnett
Spring de Michael Morpurgo (déjà entamé)
Life in the garden de Penelope Lively
The garden against time d’Olivia Laing
In the garden - Essays on nature and growing
D’autres titres présents dans ma bibliothèque (non lus):
Le cottage aux oiseaux d’Eva Meijer
La dame aux abeilles de Sue Hubbell
Les joies du printemps de Mary Webb
Printemps silencieux de Rachel Carson
Petit traité de philosophie naturelle de Kathleen Dean Moore
Led by the nose - A garden of smells de Jenny Joseph
The gardener de Salley Vickers
An island garden de Celia Thaxter
The fair botanists de Sara Sheridan
Ceux qui sont sur ma liste pour la librairie :
Journal de mon jardin de Vita Sackville-West
Le jardin d’Emily (BD) de Lydia Corry et Mathilde Tamae-Bouhon
Carnet d’un voyageur immobile dans un petit jardin de Fred Bernard
Lost gardens of the world de Sandra Lawrence
Drawn to the garden de Caroline Quentin
Wisdom for the workplace from a reluctant gardener de Sarah Parkhouse
We made a garden de Margery Fish
Why women grow : stories of soil, sisterhood and survival d’Alice Vincent
Modern nature de Derek Jarman
Si cette newsletter vous a plu et/ou si vous avez d’autres titres sur la thématique à me recommander, n’hésitez pas à me laisser un commentaire, je serais ravie de vous lire, et d’étoffer ma liste (et mes étagères) !
Merci pour votre lecture, passez une belle semaine 🌷
Quelle riche sélection !
Merci beaucoup pour cette superbe sélection ! J'ai rajouté quelques titres dans ma pile "à lire" ✨ c'est marrant ton article tombe à pic, hier j'étais à Giverny ça m'a beaucoup inspiré et donné envie de me plonger dans ce type de lecture ! Je n'ai pas encore la possibilité d'avoir un jardin mais j'ai tellement hâte que ça arrive, pour l'instant je me contente de m'évader dans les bouquins 😌