#9 Journal de lecture - Février 2025
Mon quotidien de lectrice durant le mois de février : lectures, notes, réflexions et passages en librairies
Chers lecteurs,
Je vous retrouve aujourd’hui avec mon journal de lecture de février. Je vous recommande de découvrir ce post lorsque vous avez un peu de temps devant vous, et de vous munir d’un gros mug de la boisson chaude de votre choix pour accompagner votre lecture ☺️
Vu la longueur, il est possible que tout ne s’affiche pas dans votre boîte mail, n’hésitez pas à le lire directement sur votre navigateur ou sur l’application Substack.
Pour une lecture plus immersive, tous les livres cités dans ce post sont listés à la fin.
Retrouvez tous mes journaux de lecture ici.
1er février - Réflexions du soir
J’ai continué ce matin ma lecture de l’essai “On vous vole votre attention” de Johann Hari. L’approche est très intéressante en ce que la perte de notre capacité d’attention n’est pas uniquement à relier à nos comportements individuels, mais bien à analyser à la lumière des réalités sociétales. L’auteur commence son étude par une retraite de trois mois où il décide de se couper des écrans et de toute connexion à internet. Suite à son expérience et aux nombreuses recherches menées dans la foulée, il identifie 12 causes à la crise généralisée de l’attention.
Première cause identifiée : une accélération constante de nos quotidiens, induite notamment par le flux ininterrompu d’informations qui nous arrivent et que nous ne sommes pas en mesure de traiter valablement. L’auteur déconstruit également le mythe du multi-tâches, expliquant qu’en réalité, le cerveau humain n’est pas calibré pour réaliser plusieurs actions de façon simultanée, même si nous en avons parfois l’illusion. En réalité, nous ne faisons que jongler. Le cerveau n’est pas une machine, contrairement à ce qu’on aimerait nous faire croire. Cette façon d’envisager nos actions aurait un effet négatif à la fois sur notre QI, notre mémoire et notre créativité. Je fais moi-même le constat régulier des déficiences de ma mémoire, mais peut-être qu’il ne s’agit finalement que le résultat d’un flux interrompu d’informations couplé à un multi-tasking devenu incontrôlable. Quant à la créativité, elle est en effet bien plus riche dans des périodes où j’arrive à me préserver du bruit constant du monde.
Deuxième cause : notre difficulté à atteindre l’état de flow, une forme d’attention profonde qu’on utilise d’ailleurs souvent pour décrire l’état dans lequel travaillent les artistes. Alors que les réseaux sociaux se sont construits en s’appuyant sur les faiblesses de la psychologie humaine (la théorie du renforcement et du conditionnement de BF Skinner), l’état de flow permet d’envisager une psychologie plus positive, nous invitant à “nous concentrer principalement sur des choses qui donnent de la valeur à la vie et trouver des moyens de les amplifier.” (p.71) Cet état a été étudié par le professeur Mihaly Csikszentmihalyi. Dans ses recherches, il distingue trois conditions essentielles pour l’atteindre : un objectif précis, une action qui doit avoir une valeur importante pour nous et dont la réalisation nous fait frôler les limites de notre zone de confort. Toutefois, même lorsque nous réussissons à l’atteindre, la fragilité de l’état de flow fait qu’il peut être très facilement perturbé.
Troisième cause: la qualité et la durée de notre sommeil sans cesse en recul. L’une des spécialistes du TDAH chez l’adulte en Europe, le Dr Sandra Kooij affirme que “Notre société occidentale souffre un peu d’un TDAH généralisé, car nous manquons tous de sommeil.” (p. 85). Les études sur le sommeil ne sont en réalité que très récentes, mais elles ont révélé que ce dernier jouait un rôle essentiel pour “nettoyer le cerveau” et en éliminer les toxines. Par ailleurs, le rêve nous permet de mieux gérer nos émotions et nous prépare à mieux vivre des situations stressantes.
Quatrième cause : la façon dont nous lisons, ou plutôt dont nous ne lisons plus aujourd’hui. Quand je parle de ma passion pour la lecture à mon entourage, je dis souvent que j’aime lire (des livres) car c’est aujourd’hui presque une des seules activités qui demandent qu’on s’y consacre à 100%. Lorsque je lis, je renoue avec cette concentration qui me fait souvent défaut et que je souhaite retrouver. Les technologies sont venues perturber notre façon de lire, et nous tournent vers une lecture “de surface” et constamment entrecoupée, contrairement à la lecture linéaire - celles de livres - qui est aujourd’hui à la marge.
Ce que j’aime dans cet essai, ce sont les nombreuses références et recherches venant étayer les propos et constats de l’auteur. Si les premières causes avancées peuvent sembler simples à identifier, la manière dont elles sont traitées apportent un réel éclairage sur la façon dont notre société a évolué et sur notre quête morbide de faire concurrencer l’homme à la machine, arrivant aujourd’hui à une sorte de point de saturation que je ressens moi-même, alors même que je pense faire partie des privilégiés, préservée notamment grâce à ma passion pour la lecture.
4 février - Lecture et café du matin
Je commence la deuxième nouvelle “Zooey” du recueil “Franny & Zooey” de Salinger. Le récit commence alors que Zooey lit tranquillement dans son bain quand sa mère débarque pour parler de Franny, sa soeur, en crise existentielle depuis 48h. Que faire ? Zooey doit absolument lui parler et la faire sortir de son mutisme!
J’aime beaucoup l’écriture de Salinger, elle ne ressemble à aucune autre. J’aime la précision avec laquelle il est capable de rendre compte d’une ambiance, de la personnalité ou de l’attitude d’un de ses personnages. Il a une façon intelligente et inattendue d’amener les choses. Le début de cette longue nouvelle a des allures de pièce de théâtre tragi-comique.
7 février - Pensées de fin de matinée
Hier soir, j’ai regardé l’adaptation de « The Outrun » d’Amy Liptrot, un récit autobiographique que j’ai lu il y a des années et que j’avais adoré.
J’ai apprécié cette adaptation, même si elle ne m’a pas autant touchée que le livre. Le film retranscrit davantage le parcours d’une jeune femme essayant de sortir de son alcoolisme en se reconnectant à ses racines, alors que dans le livre, bien que le rapport à l’alcool soit présent, je me souviens surtout des réflexions autour de la nature, la vie insulaire, son enfance,... Mais je comprends ce parti pris, et le film nous offre de magnifiques vues des îles Orkney. Tout comme dans le livre, j’ai adoré le passage à Rose cottage, ce petit cottage sur l’île de Papay, l’une des plus petites îles de l’archipel. Je me souviens qu’en lisant le livre, j’avais recherché des images du cottage sur Google Maps.
Un extrait d’un article écrit par Amy Liptrot en 2012, où elle partage aussi cette photo de Rose Cottage : “The north end of Papay is an RSPB reserve and standing at the top of the cliffs, with nothing but ocean until the Arctic, it feels like you’ve come to the edge of the world. Out to sea, white breaking waves mark the churning of ‘The Bore’, where the currents of Atlantic meet those of the North Sea.”
A noter que la performance de Saoirse Ronan dans le film est absolument incroyable.
8 février - Lecture et café du matin
J’ai terminé “Le cercle des amies” de Maeve Binchy. Comme j’ai aimé ce roman! Il fait partie de ces lectures qu’on n’a pas envie de terminer, il laisse un vide dans mon quotidien.
Sous couvert d’une histoire simple de jeunes femmes de la campagne irlandaise entrant à l’université à Dublin, Maeve Binchy dépeint avec finesse l’évolution de la société irlandaise sous l’impulsion de la nouvelle génération. En nous faisant entrer dans l’intimité de ses personnages, de leur quotidien et de leurs relations, l’autrice dénonce avec justesse et intelligence les réalités de la condition des femmes dans une Irlande qui est en train d’évoluer, mais au sein de laquelle les voies d’émancipation pour les femmes restent limitées. “Le cercle des amies” est un roman féministe, incarné par des personnages nuancés et profondément humains. Ce sont les femmes qui font ce roman, les hommes n’y sont que de simples figurants, et souvent risibles. Celles que nous y rencontrons sont toutes très différentes, et parfois peu attachantes. Mais elles ont toutes en commun le fait d’être des femmes fortes, des femmes de caractère, bataillant pour trouver leur place, améliorer leur situation, et ne pas se laisser enfermer par les hommes et leurs attentes, ou dans les rôles que la société voudrait leur imposer. Les héroïnes du roman sont des jeunes femmes issues de la nouvelle génération, Benny Hogan, Eve Malone, Nan Mahon, Clodagh,... mais il faut aussi souligner la présence de nombreuses figures féminines plus âgées : Mère Francis, Annabel Hogan, Kit Hegarty, Peggy,... toutes inspirantes elles aussi.
Une réplique de Clodagh au pragmatisme sans pareil (p. 693) « Mais qu’est-ce que ça change ? Ce qui compte, c’est ce que les gens font, pas ce qu’ils disent, ni ce qu’ils ressentent. »
A l’heure de l’apologie des relations toxiques et abusives dans certains romans très populaires, “Le cercle des amies” devrait intégrer une liste de “lectures obligatoires”, en ce qu’il rappelle, dans une prose bien écrite et accessible, en quoi consiste le féminisme ordinaire, celui à faire triompher dans les combats, petits et moyens, du quotidien, à commencer avec le respect de soi.
J’ai très hâte de découvrir d’autres romans de l’autrice. En faisant quelques recherches j’ai appris qu’elle avait été par ailleurs journaliste. J’ai aussi lu quelque part que le personnage de Benny Hogan était en grande partie inspirée d’elle-même et de sa propre expérience à l’université.
8 février - Réflexions du soir
Je viens de regarder l’adaptation du “Cercle des amies”. Elle date de 1995, j’adore l’ambiance des films de ces années-là. Ils me procurent beaucoup de nostalgie.
Pour ce qui est du film, même si je n’ai pas passé un mauvais moment, j’en ressors assez déçue. Le film est en soi une bonne adaptation de l’histoire et retranscrit bien tous les éléments de l’intrigue, mais il fait l’impasse sur l’essentiel qui est le développement des personnages et la manière dont ils interagissent. Cet aspect est totalement perdu dans le film et le rend assez creux. Tout se passe très rapidement et s’enchaîne, mais on en garde peu finalement. Le casting est quant à lui aux petits oignons : Minnie Driver, Chris O’Donnell, Alan Cumming, et un très jeune Colin Firth.
9 février - Lecture et café du matin
Il semblerait que j’ai décidé de retourner à New York cet hiver car hier soir j’ai commencé “A winter in New York” de Josie Silver. Ça commence bien :
“It took Herculean courage to extract myself, even more to book a one-way ticket to New York. I landed here six weeks ago with all my worldly possessions shoved into a couple of bashed suitcases, clinging on tight to the last shreds of my dignity.
I don’t actually want to stargaze in the back of a pick-up truck or have dinner at the top of the Empire State Building tonight. I’m happy to leave that kind of cutesy stuff to unacerbic women like Meg Ryan. And yes, I know my eighties rom-com references are dated, that there are a million cooler films I could cite instead. I won’t update my list, though, because memories of watching those movies with my mother while we ate our homemade gelato from her vintage pink melamime bowls ate the glue that holds my bones together. Her beloved stories about the city have carried me here on a wing and a prayer, fanciful Sinatra inspired nostalgia that if she could make it here, then maybe I can too.” (Pp. 6-7).
Personnellement, je trouve qu’au niveau comédies romantiques, on n’a rien fait de mieux que celles des années 80-90-00.
J’ai adoré les deux romans précédents de Josie Silver, “Un jour en décembre” et “Un cottage pour deux”, j’ai donc très hâte de poursuivre ma découverte de ce nouveau titre.
10 février - Lecture et café du matin
Je continue “On vous vole votre attention”. C’est aussi fascinant que ça ne fait peur pour l’avenir, car je ne vois pas notre société ralentir et évoluer favorablement de sitôt.
La cinquième cause identifiée par l’auteur est la “perturbation de l’errance de la pensée”, autrement dit, le fait que nous ne laissons plus notre esprit vagabonder, s’ennuyer. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, lorsque nous ne “faisons rien”, l’activité du cerveau bascule sur un autre mode, tout aussi actif, qui nous permet de mieux appréhender le monde et d’intégrer les apprentissages, lectures, expériences vécues en faisant des liens. Mais aussi d’établir de nouvelles connexions et de pouvoir trouver des solutions à des situations qui nous semblaient jusque-là insolubles. Enfin, lorsqu’il vagabonde, notre esprit oscille entre notre passé et notre futur, nous permettant de mieux nous préparer à ce qui nous attend.
Il est aujourd’hui plus difficile de laisser son cerveau se balader car nous sommes rapidement assaillis de pensées stressantes. Pourtant, sans cet espace, notre pensée et nos raisonnements perdent en qualité, ce qui peut entraîner un état de confusion qu’on cherche à combler avec la première distraction qui nous passe sous les yeux.
12 février - Thé de l’après-midi
Reçu hier, l’album “Le livre des gnomes” de Loes Riphagen. Il m’a été chaudement recommandé par une collègue et je l’ai commandé pour l’offrir à ma filleule. J’aime beaucoup le style des illustrations.
J’ai terminé ce matin la lecture de la dernière édition de la revue Page des libraires. C’est une des revues que je préfère, et je suis toujours pleine de joie lorsque je vois arriver le nouveau numéro.
Beaucoup de titres présentés ont retenu mon intérêt, mais j’essaie de me limiter dans ceux que je note sur ma liste pour un prochain passage en librairie.
De cette édition, je retiens pour plus ample exploration :
“La recette véritable”, une BD qui retrace l’histoire de Bernard Palissy, le potier qui a inventé l’émail blanc au 16e siècle.
Le nouveau roman de Donatella Di Petrantonio, “L’âge fragile” me tente également beaucoup mais j’ai un roman d’elle dans ma bibliothèque, “La revenue”, qui attend d’être lu depuis bien trop longtemps déjà.
Il y a aussi “Le chant du prophète” de Paul Lynch, dont j’ai entendu beaucoup de bien dans un post Substack, mais je ne pense pas avoir les ressources mentales actuellement pour en affronter la noirceur. Idem pour le nouveau Rachel Kushner “Le lac de la création”. Je les note pour plus tard.
“Un été à soi” d’Ann Patchett, par contre, semble correspondre à ce dont j’ai envie pour le moment.
13 février - Notes et café du matin
Hier, petite escapade lilloise pour me changer les idées.
J’en suis revenue avec deux livres (des cadeaux) :
“Full House”, une nouvelle de Maeve Binchy.
et “Sylvia, Shakespeare & co”, une bande-dessinée racontant l’histoire de Sylvia Beach, la fondatrice de la célèbre librairie Shakespeare & co à Paris. Ça sera mon bonbon du weekend.
J’ai par ailleurs pu feuilleter la bande-dessinée “La recette véritable” que j’avais repérée dans le magazine Page, mais le style graphique m’attire moins. Je vais encore y réfléchir, et voir ce qu’en disent les avis.
14 février - Pensées de fin de matinée
J’ai lu les trois premiers contes du recueil « Cinq contes » de Posy Simmonds. J’adore! C’est très intéressant car au début de chaque histoire, l’autrice décrit son processus créatif, de la manière dont lui est venue l’idée de l’histoire, à comment elle a décidé de la construire, et quel medium ou couleurs elle a choisi d’utiliser pour l’illustrer.


Premier conte : “Fred”. Génial ! Fred, le chat, est mort. Ses petits maîtres le pleurent. Mais ce qu’ils ne savaient pas, et qu’ils découvrent alors, c’est que Fred était un chat célèbre dans le quartier. Lors d’un enterrement nocturne, tous ses admirateurs viennent lui rendre un dernier hommage.
Deuxième conte : “Lulu et les bébés volants”. Très chouette. On y suit une enfant boudeuse qui se retrouve à se balader dans un musée, de tableaux en tableaux, en compagnie de chérubins.
Troisième conte : “Matilda”, une enfant qui s’amuse à ne raconter que des mensonges. Comme c’est noir ! Il s’agit d’une version moderne d’un “cautionery tale”, ces récits victoriens qui avaient pour but d’éduquer les enfants au danger. Ils ne faisaient pas dans la dentelle !
Dans l’intro, l’autrice parle de son processus créatif pour les illustrations : “J’ai choisi une palette restreinte pour les images - noir, vert foncé, rose, gris, des couleurs fuligineuses exhalant un peu du fog londonien, pour contraster avec les rouges et jaunes incandescents de la fin du livre. Les dessins ont été commencés au crayon léger, puis passés à l’encre gris foncé et au crayon noir ; la couleur est un mélange d’encre, d’aquarelle, de feutre et de crayon de couleur.”
15 février - Lecture et café du matin
J’ai lu 75 pages de “A winter in New York”. Je n’arrive pas à rentrer dans le roman, ce qui n’est pas très bon signe pour une romance. L’histoire entre les deux personnages principaux se construit d’une part sur un mensonge et d’autre part un mensonge par omission. En soi, ce n’est pas vraiment un problème, il arrive souvent que ce soit le point de départ d’intrigues de romances, mais je trouve qu’ici, les raisons avancées (à de multiples reprises) par l’héroïne pour maintenir ce statut quo sont peu crédibles. Ce qui fait que j’ai du mal à m’y attacher, et que je lève souvent les yeux au ciel. Aussi, à 75 pages dans le roman, nous n’avons eu finalement que très peu d’interactions directes entre les deux protagonistes de l’histoire. C’est une vraie déception car j’avais vraiment envie d’être emportée par cette romance que je me réservais pour un moment de réconfort au coeur de l’hiver. Je vais persévérer encore un peu, mais je crains fort que ça ne se solde par un abandon.
16 février - Lecture et thé de l’après-midi
Ce matin, j’ai lu la bande-dessinée “Sylvia, Shakespeare & co” d’Emilia Cinzia Perri et Silvia Vanni, achetée il y a quelques jours.


Quel plaisir de découvrir l’histoire et la personnalité de Sylvia Beach, de suivre la création de la librairie Shakespeare & co, et de fréquenter la scène littéraire française et anglophone de l’époque : Gide, Valéry, Eliot, Joyce, Hemingway,…
J’ai aussi appris plein de choses :
Sylvia Beach a vécu une histoire d’amour avec Adrienne Monnier qui tenait la librairie en face de Shakespeare & co. C’est Adrienne qui a présenté Sylvia à la scène littéraire de l’époque. C’est également le soutien d’Adrienne qui lui a donné la force nécessaire pour se battre et garder la librairie ouverte malgré les difficultés financières récurrentes. Leur histoire, animée par leur passion commune, a été tendre et touchante à découvrir.
Sylvia a mené une vie très modeste. La pauvreté faisait qu’elle oubliait parfois de se nourrir, mais c’est aussi parce qu’une partie d’elle semblait penser que la lecture lui suffirait pour survivre.
Sylvia a été la première à publier “Ulysse” de James Joyce. Fascinant.
La librairie était un lieu de rendez-vous, d’échanges et de discussions enflammées. Il y régnait une ambiance communautaire très marquée, et les écrivains qui la fréquentaient se sont mobilisés plus d’une fois pour venir en aide à Sylvia, et au lieu qu’elle avait créé, devenu une sorte de bien commun littéraire.
La librairie fonctionnait sur le principe d’abonnements.
La librairie est restée ouverte jusqu’à l’arrivée des Allemands à Paris lors de la 2e Guerre Mondiale. S’en est suivie sa fermeture définitive, car Sylvia a préféré ne pas rouvrir la librairie après la guerre. La librairie que l’on connaît aujourd’hui est située à un autre endroit que celle de Sylvia, et a été fondée par George Whitman en 1951. A la mort de Sylvia, il renomme sa librairie “Shakespeare & co” pour lui rendre hommage. La dimension communautaire du lieu a été préservée, car la librairie offre toujours l’hospitalité à ceux qui le souhaitent, en échange de quelques heures de travail et d’une courte autobiographie pour alimenter la mémoire du lieu. Elle est aujourd’hui tenue par la fille de George, Sylvia Whitman. J’y suis déjà allée plusieurs fois, mais depuis quelques années, elle est un peu victime de son succès et est devenue un haut lieu touristique parisien, ce qui rend la déambulation dans les allées peu agréable.


“Sylvia, Shakespeare & co” est une bande-dessinée assez dense, contrairement à ce qu’elle peut laisser présager lorsqu’on la feuillette. J’ai beaucoup aimé son style graphique. J’aurais aimé que le personnage de Sylvia soit un peu plus développé en tant que lectrice, et pas uniquement par le prisme de la fondatrice de la librairie et des relations qu’elle noue. J’ai trouvé qu’il manquait également quelques anecdotes du quotidien (et pas uniquement autour des célébrités littéraires de l’époque) pour davantage faire vivre le lieu. Mais je chipote, car j’ai adoré cette lecture.
Sylvia Beach a écrit ses mémoires, je serais très curieuse de les lire. Sans doute que ça permettrait de compléter cette lecture. En attendant de mettre la main dessus, j’ai très envie de sortir « Bookshop of one’s own » de ma pile à lire. Il s’agit du récit de la création d’une librairie féministe “Silver Moon”, sur Charing Cross Road à Londres, en pleine ère tatcherienne, par trois femmes, dont Jane Cholmeley, autrice du livre.
18 février - Lecture et café du matin
Lecture des deux derniers contes du recueil de Posy Simmonds.
Quatrième conte : Lavande. Un conte entièrement dessiné au crayon, inspiré par la différence entre les renards des villes et les renards des champs. Que se passerait-il si les deux se rencontraient, avec une petite lapine adorable au milieu? C’est doux, mignon. Et ça rappelle l’univers de Beatrix Potter.
Cinquième conte : Le chat boulanger. Dans l’introduction, petite anecdote partagée par l’autrice sur l’histoire : “Le chat boulanger est parti d’une esquisse de gâteau, après quoi rien d’intéressant ne s’est présenté pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que je dessine un chat en train d’étendre de la pâte. Puis des souris. (...)”. Comme son titre l’indique, nous faisons la connaissance d’un chat boulanger tellement exploité par son maître que les souris le prennent en pitié et lui proposent un marché. Morale de l’histoire, ne jamais sous-estimer le pouvoir des arts du fil ? Une vengeance espiègle et méritée comme on les aime !


Posy Simmonds a reçu le grand prix du Festival de bandes-dessinées d’Angoulême en 2024 (la cinquième femme seulement depuis la création du prix en 1974 !). Elle est à nouveau mise à l’honneur cette année dans le cadre d’une exposition qui s’y tient jusqu’au 15 mars. Comme j’aimerais pouvoir y aller.
19 février - Pause midi et impressions de lecture
Ce matin, j’ai terminé “Franny & Zooey”.
J’ai beaucoup aimé cette lecture, plus exigeante, et qui nous tient dans une forme d’apnée. Je confirme mon ressenti, on a vraiment l’impression d’être dans une pièce de théâtre dans cette deuxième nouvelle.
Lorsque l’on avance dans le récit, on se rend compte que le sujet principal est le deuil et la façon dont celui-ci est géré par les membres d’une même famille. Franny et Zooey sont les deux cadets de la famille Glass, et ils essaient de survivre au suicide de Seymour, leur frère aîné, celui qui leur a donné une certaine éducation philosophique et cultivé leur esprit critique, mais qui leur a transmis également une bonne dose de ses névroses.
“We’re freaks, the two of us, Franny and I”, he announced, standing up. “I’m a twenty-five-year-old freak and she’s a twenty-year-old freak, and both those bastards are responsible.” Zooey en parlant de ses frères, Seymour et Buddy, qu’ils surnomment “the great teachers, the great emancipators” (p.77).
La question de la santé mentale est omniprésente, même si vu la façon dont Salinger parle des psys, il ne devait pas vraiment les porter dans son coeur. Le deuil et les traits de personnalités obsessionnels étaient déjà omniprésents dans “The catcher in the Rye”. L’auteur se questionne également sur l’intelligence, et les conséquences que celle-ci peut avoir sur la perception du monde et la capacité à être heureux. Bessie, la mère de famille, s’adresse à son fils Zooey : « I don’t know what good it is to know so much and be smart as whips and all if it doesn’t make you happy.” (p.88). On sent l’omniprésence de l’auteur dans ces passages, et des questions qui l’animent.
Dans cette deuxième nouvelle, il y a aussi une importance particulière accordée aux lieux. On a d’abord une description très précise de la salle de bains, au tout début du récit. Puis c’est au tour du salon d’être décrit jusque dans les moindres détails. Une façon pour l’auteur de rattacher ses personnages à un milieu bien précis, en l’occurrence le milieu intellectuel bohème new-yorkais.
Un extrait, p. 89 : “The Glasses’ living room was about as unready to have its walls repainted as a room can be. Franny Glass lay asleep on the couch, with an afghan over her; the ‘wall-to-wall’ carpet had been neither taken up nor folded in at the borders; and the furniture - seemingly, a small warehouse of it - was in its usual static-dynamic distribution. The room was not impressively large, even by Manhattan apartment-house standards, but its accumulated furnishings might have lent a snug appearance ot a banquet hall in Valhalla. There was a Steinway grand piano (invariably kept open), three radios, (...). A cordon of waist-high bookcases lined three walls, their shelves cram-jammed and literally sagging with books (...)”.
Je n’ai pas retranscrit les longues énumérations des éléments présents dans le salon des Glass, mais celles-ci donnent à l’écriture elle-même une dimension obsessionnelle et compulsive, à l’image des personnages.
Mes impressions sont un peu décousues, mais écrire me permet toujours d’y voir un peu plus clair.
21 février - Lecture et café du matin
J’arrête “A winter in New York” à environ une centaine de pages. Mon avis reste inchangé et je ne ressens pas l’envie d’y retourner, donc j’arrête. J’éprouve des difficultés à me concentrer ces derniers jours, le stress et les contrariétés parasitent mes pensées, alors je voudrais éviter de tomber dans une panne de lecture en m’obstinant.
Je lisais ce livre le soir, je choisis souvent une lecture plus légère avant de m’endormir. Je ne sais pas encore ce que je vais choisir pour la remplacer. Peut-être “Une soupe à la grenade » de Marsha Mehran, mais j’ai du mal à savoir ce dont j’ai envie en ce moment.
22 février - Notes et thé de l’après-midi
Trop fatiguée, je n’ai finalement pas lu hier soir.
Ce matin, en revanche, j’ai commencé “Business as usual” de Jane Oliver et Ann Stafford, un roman épistolaire vintage racontant l’histoire d’Hilary, une jeune femme originaire d’Edimbourg qui décide de s’installer à Londres et d’y chercher du travail afin de subvenir à ses besoins. Une expérience de l’indépendance qu’elle tient particulièrement à vivre avant de se marier, et dont on devine qu’elle ne plait pas beaucoup à Basile, son fiancé. Cela n’empêche pas Hilary de garder sa bonne humeur et son entrain dans les lettres qu’elle lui adresse pour lui raconter sa vie à Londres. D’abord sa recherche d’emploi, puis son quotidien en tant que dactylo au sein du département littéraire d’un grand magasin londonien situé sur Oxford Street (autrement dit, Selfridges). J’aime beaucoup le ton et la vivacité de l’héroïne ainsi que le récit sous forme de lettres. Il ne s’agit pas ici d’échanges, nous découvrons uniquement les lettres envoyées par Hilary. Celles-ci sont agrémentées de petits dessins épurés mais délicieusement évocateurs. J’adore les découvrir au fil des pages.
Une lecture dans le cadre du Miss Buncle’s book club.
25 février - Notes et café du matin
Lu hier soir, quelques pages du roman “Une soupe à la grenade”. L’histoire raconte celle de trois soeurs ayant fui l’Iran, et s’installant dans un petit village irlandais. Elles décident d’ouvrir un café en proposant des spécialités de leur pays. On se doute que leur arrivée ne sera pas au goût de tous les habitants.
Ce soir, je pars à la mer jusque dimanche. J’espère pouvoir y lire plus que je ne l’ai fait ces derniers jours. J’emporte mes lectures en cours : « Business as usual », « Une soupe à la grenade », « On vous vole votre attention ».
Au cas où je serais prise d’une frénésie de lecture, j’emmène également « Le jardin sur la mer » de Mercè Rodoreda et « The year of magical thinking » de Joan Didion.
26 février - Lecture et café du matin
Reçu hier: “Life’s short, talk fast”, recueil d’essais sur la série Gilmore Girls, édité par Ann Hood.
Je poursuis ma découverte de “Business as usual”. Je trouve fascinant de suivre le quotidien d’une jeune femme découvrant la vie professionnelle dans le Londres des années 30. J’aime lire les comptes-rendus de ses trajets vers, et en revenant du travail. Ça me rappelle les miens, durant les quelques mois où j’ai travaillé à Londres.
Les lettres d’Hilary ne perdent pas de leur humour ni de leur intelligence au fur et à mesure qu’on avance dans le roman. Dans ses dernières missives, elle raconte sa recherche de logement, pas facile à trouver avec son maigre salaire (£2 la semaine). Un peu désespérant de constater que les problèmes de logement à Londres ne datent pas d’hier !
Dans une autre de ses lettres, elle détaille précisément toutes ses dépenses sur la semaine. Son mode de vie est très modeste, mais largement compensé par la liberté que cette nouvelle indépendance lui offre.


27 février - Réflexions et café du matin
“On vous vole votre attention” (suite).
Sixième cause : l’arrivée des technologies conçue de manière à profiter des faiblesses de la nature humaine. Les nouvelles technologies sont pensées pour être addictives, et les solutions apportées par leurs créateurs pour réduire leur impact sur nos vies personnelles sont insuffisantes. De plus, ces garde-fous font reposer la responsabilité de leur « consommation » à l’échelle individuelle, alors même qu’elles sont conçues pour nous rendre dépendants.
Le modèle économique sur lequel elles se reposent a fait émerger le capitalisme de surveillance. “Dès que vous envoyez un message ou mettez à jour votre statut sur Facebook, Snapchat ou Twitter, et dès que vous faites une recherche sur google, tout ce que vous dites est analysé, trié et conservé. Ces sociétés dressent un profil de vous pour le vendre aux annonceurs qui souhaitent vous cibler (...). Il faut imaginer qu’à l’intérieur des serveurs de Facebook et de Google, il y a une petite poupée vaudoue modelée d’après vous (...). Et chaque fois qu’une entreprise tech fournit quelque chose gratuitement, c’est toujours pour peaufiner la poupée vaudoue (...)” (pp. 148-150). Je trouve l’image de la poupée vaudoue est très parlante.
Plus loin, l’auteur résume ses recherches et constats, et distingue 6 façons distinctes par lesquelles ces technologies nuisent à notre attention (pp. 157-159)
Ces sites et applications sont “conçus pour habituer nos cerveaux à désirer des récompenses fréquentes” (contrairement à la réalité). Addiction à la dopamine.
Ces technologies “incitent à alterner entre les tâches plus souvent qu’en temps normal.”
Ces sites et applications apprennent à nous connaître tellement bien qu’ils savent comment nous manipuler, “nous faire craquer”.
En raison du fonctionnement des algorithmes, nous éprouvons souvent de la colère, et il est prouvé que la colère nuit à notre attention et à la qualité de notre raisonnement.
Ces sites nous mettent en état d’alerte, car nous nous retrouvons inondés par la colère ambiante.
Ces sites nuisent à notre capacité d’attention collective, en “embrasant la société”. L’attention collective est celle qui nous permet de nous organiser ensemble, pour faire changer les choses, ou tout simplement, survivre.
28 février - Bilan du mois
Livres terminés : “Le cercle des amies”, “Franny & Zooey”, “Cinq contes” de Posy Simmonds, “Sylvia Beach, Shakespeare & Company”.
Abandon : “A winter in New York”.
En cours : “On vous vole votre attention”, “Business as usual”, “Une soupe à la grenade”.
Envies de lectures pour le mois de mars : “Le jardin sur la mer” de Mercè Rodoreda, “The year of magical thinking” de Joan Didion, “Life’s short, talk fast” d’Ann Hood, “A bookshop of one’s own” de Jane Cholmeley, “Miss Silver entre en scène” de Patricia Wentworth, “L’assassin royal - tome 1” de Robin Hobb.
Merci pour votre lecture!
J’espère que cette édition de journal de lecture vous a plu! Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour le suivant ☺️ En attendant, d’autres posts seront à découvrir par ici !
N’hésitez pas à me laisser un petit ❤️ ou un 💭, c’est toujours un bonheur de vous lire en retour 🙏🏻
Belle semaine à vous,
Emy x
Livres mentionnés :
On vous vole votre attention - Johann Hari
Franny & Zooey - J.D. Salinger
The Outrun (L’écart) - Amy Liptrot
Le cercle des amies - Maeve Binchy
Un hiver à New York - Josie Silver
Un jour en décembre - Josie Silver
Un cottage pour deux - Josie Silver
Le livre des gnomes - Loes Riphagen
La recette véritable - Béranger & Léandre Thouin
L’âge fragile - Donatella Di Petrantonio
La revenue - Donatella Di Petrantonio
Un été à soi - Ann Patchett
Le lac de la création - Rachel Kushner
Le chant du prophète - Paul Lynch
Full House - Maeve Binchy
Sylvia, Shakespeare & co - Emilia Cinzia Perri et Silvia Vanni
Cinq contes - Posy Simmonds
Shakespeare & Co - Sylvia Beach
A bookshop of one’s own - Jane Cholmeley
L’attrape-coeurs - J.D. Salinger
Une soupe à la grenade - Marsha Mehran
Le jardin sur la mer - Mercè Rodoreda
The year of magical thinking (L’année de la pensée magique) - Joan Didion
Life’s short, talk fast - Ann Hood
Miss Silver entre en scène - Patricia Wentworth
L’assassin royal (tome 1) - Robin Hobb.
Tant de joie chaque fois que je reçois la notification de ton journal de lecture ! J'ai ajouté certains des livres à ma PAL (Le Cercle des amies, Business as usual et le roman graphique sur Shakespeare & Co) et j'ai hâte de connaître le mois prochain tes impressions sur ceux que tu as commencés.
Oh Business as Usual ! Je l'avais acheté il y a quelques années après l'avoir vu sur l'Instagram d'Emjy mais je ne l'ai pas encore lu. Tu me redonnes envie de m'y réinteresser.
L'essai "On vous vole votre attention" m'interpelle mais j'ai peur d'être confrontée à cette dure réalité 😅 Je vois une nette différence entre ma concentration aujourd'hui et il y a 10 ans, et c'est désolant mais ça n'est pas irréversible j'espère !
Je fais un travail là dessus depuis le début d'année grâce notamment à mon éloignement d'IG !
Très envie de lire “Sylvia, Shakespeare & co" maintenant que tu en parles !
Une de mes amies organisait des visites guidées "littéraires féministes" et elle m'avait narré la vie incroyable de Sylvia Beach.
Dans quelle librairie lilloise as tu été ?
J'y suis allée le weekend dernier mais malheureusement la "librairie Internationale VO" était fermée à l'heure à laquelle nous sommes passées devant.
C'est tellement chouette de lire tes réflexions de lectrice jour après jour !